Regroupement familial
Janvier 1967.
Nous arrivons en culottes courtes et en sandales à Marseille.
Nous quittons notre petit village du sud de l’Espagne car nous allons enfin vivre en famille, mon père ayant suffisamment fait d’allers retours durant cinq ans.
La route a été horriblement longue et pénible dans ce vieux tacot qui se traine depuis plus de trente heures avec à son bord cinq enfants de six mois à dix ans.
En laissant notre village, nous laissions une partie de nous même et changions pratiquement de siècle mais nous ne le saurions que plus tard quand la vie, de temps en temps, rembobine la bande sans ne rien demander à personne…
Papa a rafistolé une vieille maison au milieu des champs, qu’un paysan, dans un élan de compassion, lui prête gracieusement en échange de trois heures de travail qu’il effectue le soir après sa longue journée.
Nous avons hâte de connaître enfin ce pays merveilleux dont mon père nous parlait tant...
Quinze jours ont passé, maman ne chante plus comme au village car ici cela ne se fait pas. Chanter du flamenco si fort toute la journée, alors qu’ici on est dans la délicatesse, dans la mesure, dans le calme et le savoir vivre, papa lui dit que les gens sont choqués, elle comprend…
Hans Kummer, un ami hollandais qui travaille avec mon père nous a procuré des vêtements plus chauds car exceptionnellement il fait très froid à Marseille, il a même neigé ! Une première pour nous.
Tata Dolores nous présente au directeur de l’école de « Château-sec » mais il ne peut nous accueillir car n’étant pas « convenablement » vaccinés, les parents pourraient se plaindre ! Déjà qu’il fait un geste humain en prenant quatre enfants ne sachant pas parler Français…
Au centre médical on nous piqua allégrement contre toutes les maladies possibles, ainsi nous pûmes être scolarisés sans aucun risque de contamination pour nos petits camarades.
J’avais huit ans et Jeannot dix, on nous mis au CE2, quand à PACO et ma sœur le CE1 fit l’affaire, de toutes manières nous étions en février et ne sachant pas parler le Français, on nous mis là où restait de la place.
Les enfants sont souvent très méchants, ils ont un don inné pour faire du mal, là où çà touche le plus , même s’ils ne se comprennent pas, ils savent immédiatement, avec un regard ou un sourire, atteindre leur cible .
Heureusement pour moi, un petit bidonville près de l’école abritait des gitans parlant Espagnol, ils vivaient là avec beaucoup d’étrangers ayant en commun la même raison, être d’ailleurs et c’est avec tous ces égarés que j’appris le Français.
Je me mis dans la tête, après des jours et des jours de moqueries et de bagarres de ne revenir dans cette classe que lorsque je parlerai correctement le Français, j’en parlais à Paco qui a six ans était déjà un révolté né, Jeannot lui, le prenait comme toujours avec tranquillité.
Nous décidions Paco et moi de sauter le grillage qui séparait l’école de la foret et de ne revenir qu’à la cantine, le soir ma mère nous récupérait après sa journée de ménage chez des gens conciliants et nous sortions tranquillement. Dans notre cabane improvisée, nous accueillions souvent nos amis gitans et autres gamins dont l’absence à l’école ne souciait guère les maitres, des jours et des semaines nous pûmes ainsi aller et venir sans que nos parents soient convoqués.
J’en profitais pour améliorer mon Français avec mes professeurs de fortune, ainsi qu’avec la lecture que maman me ramenait tous les jours, des revues ou des livres que les parents des enfants moqueurs lui donnaient, après le ménage, je trouvais la situation assez cocasse !
L’année scolaire finit et naturellement je restai au CE2 pour une année supplémentaire, mais dans ma tête il y avait d’autres résolutions…
Je ne sauterais plus le grillage ! J’aimais les mots Français à présent, même si je continuais à rêver en Espagnol encore quelques années. J’avais comme un gout de revanche pour mes parents analphabètes qui m’animait dorénavant.
Cet amour de la langue Française ne m’a jamais quitté, cette langue si difficilement (presque) domptée qu’on m’avait imposée me semble aujourd’hui si belle que je rêve à présent en Français et je me dis que peut être, au moins pour çà, çà valait la peine de traverser les Pyrénées.
AH ! J’oubliais, à la fin de l’année scolaire, j’étais assez fier quand madame TRICON me remit le livre « le dernier des mohicans » car grâce à mes amis étrangers et aux lectures de mes « amis » empruntées par ma mère, j’avais la troisième meilleure moyenne de la classe, aujourd’hui j’en rigole mais mon père en parla pendant tout le mois de vacances lorsque nous retournâmes au village et çà j’avoue que j’y pense avec fierté encore quelques fois.